OURAGAN (suite et fin) Laccalmie navait duré quune dizaine de minutes. Le vent recommençait à souffler avec une violence inouïe. Il accourait, tel une bête déchaînée et se jetait avec fureur sur les parois de la case qui toute entière trépidait, se secouait, courbait léchine pour mieux résister et protéger ses habitants. Quelques tôles du toit se soulevèrent, laissant entrer des paquets de pluie chargés de terre, de feuilles, de toutes sortes de détritus. Jenny, blottie avec ses enfants dans le lit priait à voix haute, invitant ses enfants à répéter après elle chaque phrase de sa prière. Il ny avait rien dautre à faire sinon prier et espérer. Dehors, les éléments se battaient : le vent, le plus terrifiant, menait une guerre sans répit contre tout, la pluie essayait de rivaliser avec lui, tandis que les éclairs et le tonnerre arbitraient la partie. Dans un tumulte où on entendait les arbres tomber dans un grand craquement de branches, les éléments faisaient la loi. Pendant un instant, louragan fut si violent quil sembla à Jenny que la terre tremblait. Des vibrations profondes secouaient tout dans la petite maison. Dans le buffet, elle entendait les assiettes et les verres sentrechoquer. Le sommier du lit frappait la cloison à coups sourds et réguliers, rythmant le tintement continu des assiettes et des verres. Cette musique infernale qui accompagnait les rugissements du vent approfondissait un peu plus la détresse des habitants de la petite case. Charles et Amandine se bouchaient les oreilles en fermant leurs yeux remplis de larmes. Jenny, priant toujours à mi-voix était à bout de nerfs. Cela faisait plus de six heures que la tempête avait commencé et elle ne semblait guère prête à quitter les lieux. Mais, progressivement, au fur et à mesure que le jour approchait, louragan perdait de sa vigueur. On aurait dit quil avait peur de se montrer au grand jour. A laube, le vent tomba tout à fait pour laisser place à une brise légère. La fatigue et la tension nerveuse avaient fini par emporter Jenny et les enfants dans un sommeil profond mais agité. Jenny se réveilla la première, surprise par tant de silence après le puissant vacarme de la nuit. Avec précaution, elle quitta le lit et ouvrit un des volets de la case. Un spectacle de désolation soffrit à ses yeux. La nature était bouleversée. Elle ne reconnaissait plus les alentours : la plupart des arbres étaient tombés, coupés en deux, la barrière et le poulailler avaient disparu. Elle poussa la table quelle avait coincée contre la porte et sortit afin de mieux constater les dégâts causés par la tempête. Son petit potager situé derrière la maison était méconnaissable : il semblait navoir jamais existé. Elle découvrit deux de ses poules gisant, le cou brisé, sur une pile de vieux débris que le vent avait rassemblés le long de la maison. Le bel arbre à pain, couché sur la maison, avait défoncé une bonne partie du toit. Mais, dans sa chute, il avait finalement protégé et retenu la maison de ses branches qui recouvraient le toit comme une main protectrice. La petite case se serait sans doute envolée comme un fétu de paille, sil navait pas été là pour la retenir au sol. Désespérée, les cheveux en bataille, Jenny marchait, nu-pieds à travers tout ce fatras de branches, de terres, de feuilles arrachées, de planches sorties dont ne sait où. Cest là, debout au milieu de toute cette misère quelle prit la décision de rassembler le peu qui lui restait et de partir vivre au bourg, de quitter à tout jamais cette maison que son mari avait bâtie de ses propres mains. De grosses larmes roulaient sur ses joues. Elle regrettait de quitter cet endroit qui lui rappelait tant de bons souvenirs, lépoque où, à deux, ils avaient échafaudé mille et un projets. Sur le pas de la porte, elle aperçut Charles et Amandine qui, dans un rayon de soleil, regardaient hébétés les bouleversements survenus durant cette nuit de tempête. Elle courut vers eux et les serra dans ses bras en se disant quelle navait pas tout perdu : le plus cher de ses trésors était sain et sauf, Dieu merci ! FIN |